FAUT-IL CULTIVER SON JARDIN VIRTUEL ?

via Fisheye magazine



   L’utilisateur est invité à faire le choix conscient d’interagir par le biais de ses mouvements, provoquant une séquence narrative unique. Sa logique idiosyncratique le rend témoin d’une floraison partielle, infinie, voire de la mort inexorable du jardin. À l’image de jeux vidéos indépendants comme “The Stanley Parable” ou “Undertale”, I Never Promised You A Garden porte sa réflexion autour des mécanismes de gameplay. Le design même de l’expérience confère une position centrale au visiteur qui, s’émancipant de la simple notion de point de vue, devient lui-même interface. À mesure que s’amplifie l’immersion, un dialogue et une interdépendance entre le jardin et son visiteur se dévoilent, ne laissant pas de place au principe de pause ou “idle”. Éphémère par essence, l’esprit du jardin à la française du XVII ème siècle est ici marqué par l’incitation baroque de mouvement perpétuel, emprunt de formalisme classique.


    La spatialité d’I Never Promised You A Garden implique le recours aux colonies virtuelles, syndrome d’une possible claustrophobie globale d’après Paul Virilio. Si la vitesse des échanges et d’internet donne lieu au sentiment d’ubiquité et au rétrécissement apparent du monde, la conquête et le développement de territoires virtuels propre aux jeux vidéos, permet, parmi ses possibles, de distordre à l’infini l’espace et le temps.Sous les traits d’une promesse injonctive faite au joueur d’en jouir sans limite, ces territoires sont ainsi dé-territorialisés, liquides. Les effets, réels, les conséquences, virtualisées.

    Grâce aux écrans de PC, tablettes ou smartphones, autant de “surfaces” en deux dimensions, le joueur franchit cette frontière spéculative du réel effectif au virtuel en trois dimensions.Cependant, l’immersion associée à la réalité virtuelle ne se satisfait pas d’une surface ici incarnée par le casque. La nature même du dispositif nécessaire à l’interaction induit la notion de territorialité pour être effectif. La mise en place d’une “playzone”, surface exprimée en mètres carrés et non en densité de pixels, marque l’irruption hyperbolique du virtuel dans le réel. La “surface” devenant tri dimensionnelle, elle est par là même territoriale, géographique, politique et violente par nature.


    Si “La réalité, c’est ce qui ne disparaît pas quand on arrête d’y croire” selon Philip K Dick, il en va désormais de même pour le virtuel. Cette “réalité du virtuel” qui investit l’architecture, travestit ses destinations, vient se supplanter aux espaces jusqu’à les rendre théoriquement impraticables. Qu’il s’agisse de playzone, render farm ou data center, le virtuel s’est rendu visible et effectif, en trois dimensions, liquide au point d’annuler les surfaces. Le jeu de perspectives et l’anamorphose du réel, promesse infinie de pouvoir absolu offerte par le virtuel revient se heurter au réel à mesure que le désir d’immersion grandit, tel un horizon négatif.


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